LE CYCLE DES SAISONS
Las de s’être
contractés tout l’hiver les arbres tout à coup se flattent d’être dupes. Ils ne
peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles, un flot, un vomissement de
vert. Ils tâchent d’aboutir à une feuillaison complète de paroles. Tant pis !
Cela s’ordonnera comme cela pourra ! Mais, en réalité, cela s’ordonne ! Aucune
liberté dans la feuillaison… Ils lancent, du moins le croient-ils, n’importe
quelles paroles, lancent des tiges pour y suspendre encore des paroles : nos
troncs, pensent-ils, sont là pour tout assumer. Ils s’efforcent à se cacher, à
se confondre les uns dans les autres. Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir
entièrement le monde de paroles variées : ils ne disent que « les
arbres ». Incapables même de retenir les oiseaux qui repartent d’eux,
alors qu’ils se réjouissaient d’avoir produit de si étranges fleurs. Toujours
la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite,
toujours des feuilles symétriques à elles-mêmes, symétriquement suspendues !
Tente encore une feuille ! – La même ! Encore une autre ! La même ! Rien en
somme ne saurait les arrêter que soudain cette remarque : « L’on ne sort
pas des arbres par des moyens d’arbres. » Une nouvelle lassitude, et un
nouveau retournement moral. « Laissons tout ça jaunir, et tomber. Vienne
le taciturne état, le dépouillement, l’AUTOMNE. »
Francis Ponge, Le Parti pris des choses,
1942