sábado, 10 de dezembro de 2016

Cosmonautas, astronautas e não só...


A propósito da morte de John Glenn,


Youri Gagarine

 Le 12 avril 1961, il a été le premier humain à rentrer dans l'espace
et le premier à faire le tour de la Terre.
L’homme ne veut quitter son lieu.
Il dit que la technique est périlleuse,
qu’elle s’insinue dans notre rapport au monde,
que les vraies civilisations sont celles au caractère stable,
que le nomade est incapable d’acquisition.
Qui est cet homme ?
Chacun d’entre nous,
dans les moments où il cède à la pesanteur.
Ce même homme a subi un traumatisme
le jour où Gagarine devint l’homme de l’espace.
Cet événement est désormais oublié ;
mais l’expérience se renouvellera sous d’autres formes.

Et dans ces cas, nous devons être à l’écoute de l’homme de la rue,
de celui qui ne réside pas.
Celui-ci a admiré Gagarine,
celui-ci l’a admiré pour son courage,
pour l’aventure, et aussi en hommage au progrès ;
mais un d’entre eux a nommé la bonne raison :
c’est extraordinaire, nous avons quitté la terre.
Ici gît, en effet, la vraie signification de l’expérience :
l’homme s’est défait du lieu.
On a eu l’impression, du moins pour un instant,
de quelque chose de décisif :
loin – dans une distance abstraite et de pure science –
soustrait à la condition commune qui est symbolisée par la force de gravité,
il y avait quelqu’un, non plus dans le ciel,
mais dans l’espace,
dans un espace qui n’a ni être ni nature
mais qui est purement et simplement la réalité d’un (presque) vide mesurable.
 L’homme, mais un homme sans horizon.
Mais avec tout cela, plus que le chrétien,
Gagarine mit en échec l’homme qui, en nous, est éternellement séduit par le paganisme,
qui a pour suprême aspiration d’habiter la terre,
de s’installer sur terre, de séjourner, de fonder,
de mettre des racines, d’adhérer ontologiquement à la race biologique et au sol ancestral ;
l’homme possessif qui veut avoir la terre et qui l’a,
qui sait s’approprier et s’accrocher,
incrusté à tout jamais là où il est,
dans sa tradition, dans sa vérité, dans son histoire,
et qui ne veut pas que l’on porte atteinte aux lieux sacrés du beau paysage et du grand passé ;
le mélancolique qui se console de la malveillance des hommes
en fréquentant les arbres.
Gagarine nous a, pendant un moment, affranchis d’un tel homme
et allégés de ses bibelots millénaires.
La condition du cosmonaute, pour certains aspects, est à plaindre :
un homme qui est le porteur du sens même d’une liberté
et qui jamais plus qu’un autre homme s’est retrouvé prisonnier de sa propre situation,
affranchi de la force de la gravité et lesté plus que tout autre être,
en route vers la maturité et tout emmailloté dans ses langes scientifiques,
comme un nouveau-né d’un autre temps,
réduit à se nourrir avec le biberon et à vagir plus qu’à parler.

mais elle dit aussi ceci à celui qui l’écoute mieux: que la vérité est nomade.


 Maurice Blanchot, França,  in «La conquête de l'espace»



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